Vincent est né ici, dans ce petit port de Collioure, au pied des Pyrénées et les orteils dans la Méditerranée. Un homme « terre et mer », façonné par cette histoire singulière de ce petit bout de terre qui a connu bien des tempêtes. Dans cette région reculée, où l’on parle aussi bien le catalan, l’espagnol ou le français, l’attachement à la vigne est fort. Pourtant, pendant des années, on ne faisait pas son vin soi-même. C’était la grande époque des coopératives. Et puis, dans les années 1970, l’essor du tourisme à tout va. Lorsqu’il termine ses études d’ingénieur, Vincent se méfie de ces espoirs « d’avenir clé en main ». Il a conscience que son village a d’autres ressources, qu’il faut croire en ces terres et dans son patrimoine. Sans l’appui de sa famille, il tourne le dos à une carrière en entreprise, et décide de devenir vigneron. On est en 1982, il a 27 ans. Morceau par morceau, emprunt après emprunt, il va racheter à sa famille quelques parcelles de vignes, et en acquérir d’autres.
« Et parfois, tu te dis, là j’arrête, je touche plus rien. »
Vincent raconte sa région et son histoire, avec douceur et pétillement. Aussi, rien d’étonnant quand on en revient au vin, d’apprendre que ce qu’il cherche, depuis toujours, c’est de traduire le caractère de son pays dans ses flacons. Il n’en démord pas : il faut aller toujours plus loin dans la valorisation de ces deux AOC du Roussillon que sont Collioure et Banyuls. Il y a encore un travail énorme à faire, et notamment en France, pour faire connaître ces vins et les vignerons qui s’acharnent sur ces coteaux scabreux, qui ne sont pas sans rappeler ceux de la Côte-Rôtie et de Condrieu. Rien n’est mécanisable ici, le soleil est d’une rare violence, les orages sont nombreux et puissants, la force du vent est légendaire. Mais voilà, certains paysans-vignerons comme Vincent s’entêtent. Le terroir est exceptionnel, si tant est que l’on sait adapter les cépages au sol, les pratiques culturales à la météo, et les vinifications au profil des vins. Des vins secs qui se révèlent beaucoup plus souples et frais que leurs voisins de la plaine, influence maritime et altitude obligent, en AOC Collioure. Et une vraie gamme de Vin doux naturels en AOC Banyuls. Du plus fruité au plus complexe, du Banyuls « d’initiation » à celui élaboré à partir d’une réserve perpétuelle, dont le premier millésime remonte à 1952… La solera du pauvre, comme Vincent l’appelle. Des vins qui jouent avec l’oxydation, avec le temps… Des nectars que l’on boit en le prenant son temps, justement, qui délient les langues ou bien font savourer les silences.