Bruno Dubois
11h, Saint-Cyr-en-Bourg, mardi 8 septembre. Me voilà face à Bruno Dubois.
Timide ? Bougon ? Introverti ? Mes premières minutes avec Bruno sont à la limite du silence.
En soi, c’est plaisant, le silence. Mais ça peut être un peu pesant, quand vous êtes avec quelqu’un que vous rencontrez pour la première fois.
L’astuce dans ces cas-là, c’est d’embarquer votre interlocuteur immédiatement sur son terrain de jeu à lui. Le mettre dans le bain, et observer si ça se déride un peu.
Nous partons donc pour un grand tour des vignes de Bruno, 11 hectares en Saumur-Champigny, une soixantaine d’arbres fruitiers fraichement plantés, agroforesterie quand tu nous tiens.
16h, Saint-Cyr-en-Bourg, mardi 8 septembre. Je tourne les clés et mets le contact. L’astuce de l’immersion du sujet sur son terrain de jeu a fonctionné… en partie. Car aujourd’hui un facteur extérieur vient compliquer l’affaire : nous sommes à quelques jours (heures ?) du top-départ des vendanges. Alors, en effet, Bruno est tout à son affaire quand il s’agit de me présenter ses rares parcelles de chenin (85 ares, bientôt 2,5 hectares), les cabernet-francs dits du grand-père, plantés en 1954, ou d’évoquer sa recherche d’un troupeau de brebis pour cet hiver (oyé oyé, recrutement ovin !).
Mais notre conversation est ponctuée de silences, de réflexions, profondes, de phrases en suspens. Tout en me racontant son histoire, les études viticoles dans la région, les stages et premiers boulots à travers tout le pays, les rencontres et expériences auprès des plus grands, la reprise du domaine familial tenu par son père et son oncle, la sortie des vignes de la coopérative tout récemment, le début de la commercialisation… Bruno goûte les baies sur notre passage, machouille, crachouille, rentre dans ses pensées.
Je m’attends à tout moment à ce qu’il m’expédie – ça a autre chose à foutre que de papoter des heures, un vigneron à la veille des vendanges – mais non, il revient à ma dernière question, développe, prend son temps. Après la dégustation, nous prenons même le luxe d’un déjeuner improvisé, tomates du jardin, champignons rôtis, pêche de vignes fraîches et juteuses.
Ni timidité ni mauvais caractère : Bruno est de ces vignerons calmes et exigeants, qui accordent de l’importance à toute chose… tout en veillant à ne pas tomber dans la précipitation. À l’image de ses vins, généreux et délicats, Bruno est aussi curieux que rigoureux. Il se forme sans cesse, s’intéresse à de nombreuses disciplines, et ne suit aucun courant sans avoir d’abord testé par lui-même, compris et adhéré en conscience à une philosophie. Qu’il s’agisse de la biodynamie, de ses jarres en terre cuite ou de son kéfir maison, il aborde chaque expérimentation avec ce doux mélange d’un esprit profondément cartésien mêlé à une aptitude au rêve presque enfantine.
Un véritable artisan vigneron, dont l’humilité lui fera oublié de raconter qu’il a œuvré pendant des années auprès des plus grands (pour n’en citer que quelques-uns, la Tour du Bon, Château Pétrus, Marcel Lapierre…), avec la même appétence à la découverte, le même amour sincère pour le vin, celui qui se partage et se savoure.
Texte élaboré en collaboration avec Aurélie Soubiran